You are currently viewing Mixité scolaire et sociale : quand on veut, on peut

Mixité scolaire et sociale : quand on veut, on peut

Rarement une prise de fonction ministérielle aura fait autant de bruit. Les propos de la ministre Oudéa-Castéra pour expliquer son choix de scolariser ses enfants à Stanislas étaient non seulement maladroits mais surtout révélateurs. Qu’ils soient en plus mensongers est scandaleux et, pire, révèle son peu de considération pour notre modèle d’école publique, qui mérite qu’on le défende sans concession.

Faire le choix du public ou du privé pour ses enfants est une décision personnelle et libre, qui dépend de nombreux facteurs familiaux et tous respectables. Cependant l’objectif du gouvernement ne saurait être d’assurer la seule reproduction des élites. Notre objectif commun devrait être de permettre l’émancipation de chacun par l’éducation et cela signifie d’abord de lutter résolument contre la recherche – faussement sécurisante – de l’entre-soi, par une politique dynamique en faveur de la mixité sociale et de la mixité scolaire.

Le XVIIIe arrondissement est «un cas d’école»

Car cette logique de l’entre-soi dépasse les clivages du public et du privé. Le XVIIIe arrondissement est «un cas d’école» puisque de Montmartre à la Goutte-d’Or, en passant par les portes de Paris, des écoles et des collèges publics à quelques centaines de mètres de distance accueillent des enfants issus de catégories sociales différentes (les plus riches et les plus pauvres de France, sans avoir à beaucoup grossir le trait). Ces morcellements se lisent aussi à des échelles plus fines, puisque les quartiers populaires évoluent vers plus de mixité, tandis que les quartiers réputés plus bourgeois du XVIIIe accueillent un très grand nombre d’hôtels sociaux.

Cette réalité alimente des logiques de peur du déclassement souvent déconnectées de la réalité des écoles. Ces peurs sont alimentées par les discours de certains responsables politiques qui reproduisent eux-mêmes ces logiques d’entre soi.

Il nous revient à tous que l’école demeure

Il nous revient à tous, responsables nationaux ou locaux, d’assurer que l’école demeure, malgré tous ses manquements et ses défauts, le premier outil offert par la République pour permettre la réussite de chacun, quel que soit son milieu d’origine. Et elle y parvient bien mieux que le secteur privé qui doit son excellence d’abord au fait de choisir ses élèves, et trop souvent de rejeter ceux qui sont un peu plus faibles.

Cette conviction est le résultat d’une politique volontariste, nourrie par des exemples et de vrais succès : car quand tout le monde s’y met sincèrement, ça marche ! La mixité réussit, pour peu qu’on ait le courage et la constance de la construire.

Les récentes études sur les établissements du XVIIIe, pilotées par l’Observatoire parisien de la mixité, le montrent : la diversité au sein des classes est un atout pour tous les élèves, quel que soit leur milieu d’origine, de même que la diversité des niveaux scolaires tire vers le haut non seulement les moins bons élèves mais aussi les meilleurs, pour peu qu’elle soit travaillée avec le corps enseignant en veillant à une pédagogie adaptée.

Depuis plusieurs mandatures, notre travail sur la sectorisation des collèges et la création de deux secteurs multi-collèges mélangeant des élèves favorisés et défavorisés a permis de redonner confiance aux parents qui craignaient de mettre leurs enfants dans des collèges devenus des ghettos scolaires. Dans certains secteurs, la mixité sociale a fortement progressé dans les classes de sixième et le taux d’évitement vers le privé a diminué de 15 % à 30 % entre 2016 et 2019. Dans le secteur Curie-Phillipe, le dispositif a entraîné une diminution de 20 % de l’évitement vers le privé à la même période.

«Tout le monde» ne fait pas le choix du privé

Et ce n’est pas pour rien que la ministre s’est rendue dans le XVIIIe, à l’école du 113 Championnet, pour tenter de faire oublier ses propos hasardeux. Cette école de l’éducation prioritaire possède l’un des indices de positionnement social le plus bas de Paris bien que situé à l’angle de rues plutôt aisées, mais elle est aujourd’hui une vitrine. Nous nous sommes battus pour l’ouvrir en 2020 dans une période de fléchissement démographique, et si aujourd’hui, elle mêle des élèves plus privilégiés à des enfants aux parcours de vie parfois tragiques, ses résultats académiques pour le passage en sixième sont excellents.

Il aura donc fallu du temps, de la constance – et un peu de courage – pour y parvenir. Il aura aussi fallu que l’Etat et la ville tirent dans le même sens, et sur le temps long. Des formations ont été mises en place pour aider les enseignants à gérer l’hétérogénéité des niveaux scolaires et des moyens ont été mis pour maintenir des effectifs réduits dans les classes, développer des classes de théâtre ou de rugby dans des établissements fuis, tandis que des synergies avec des acteurs associatifs locaux se développaient pour accompagner les élèves en difficulté et pallier les inégalités d’accès aux équipements culturels et sportifs.

Sans parler de la mise en œuvre du dispositif «Tous mobilisés» dans plusieurs établissements et d’une Cité éducative foisonnante. Ce sont des engagements de longue haleine, mais quel progrès ! La promesse républicaine est sans doute toujours bien imparfaitement réalisée dans le XVIIIe, mais elle est aujourd’hui bien plus réelle qu’il y a vingt ans.

Alors, non, «tout le monde» ne pense pas ce qu’a dit madame la ministre et d’ailleurs, «tout le monde» ne fait pas le choix du privé. Nous sommes nombreux à croire en l’école de la République et à savoir ce que nous lui devons. Elle est cet espace si français qui ouvre à la réussite, permet la rencontre entre enfants dans leur diversité, et les prépare à la vie d’adulte, celle où tous les milieux sociaux peuvent se croiser, se rencontrer et construire ensemble notre société. Sans elle, c’est toute la promesse républicaine qui perd de sa réalité.

 

Eric Lejoindre, maire du 18e arrondissement

 Publié dans Libération le 18 janvier 2024

Laisser un commentaire